Tread

Alors là, plein de sens possible. Marcher, fouler, un pas, plein de choix

C’est le premier pas le plus difficile, le premier pas qui compte.

On lui répétait cela depuis qu’il était tout petit.

Son père, lorsqu’il avait à peine un an, et que le géant qui était son père lui tendait les mains, juste suffisamment loin pour qu’il ne puisse pas les attraper sans marcher, faire quelques pas. « Allez noix de cajou, c’est le premier pas qui compte ».

Puis plus tard, quand il avait peur d’aller à l’école, parce que des enfants plus grand que lui se moquait de lui et de ses habits qui étaient ceux que portait son frère quelques années plus tôt. « Allez noix de cajou, c’est le premier pas qui compte » lui disait à nouveau son père.

Lorsqu’il avait eu son diplôme de menuisier, et que chaque matin il se levait pour faire le tour des scieries de la ville, pour tenter de trouver du travail et que la déprime de toujours revenir bredouille lui tombait dessus, il se le répétait à lui même « Aller noix de cajou, c’est le premier pas qui compte, marche et tu verras bien ce qui arrivera ».

Lorsqu’il avait rencontré Joséphine sur le coin d’un bar, lorsqu’il n’avait pas osé l’inviter à dîner, à sortir, c’est ses amis qui l’avaient alors encouragé « Allez quoi, c’est le premier pas qui compte, tu ne va pas la laisser partir, c’est la femme de ta vie ! »

Ce terrible matin de novembre, où il avait du partir, enrôler d’office, franchir le seuil de leur maison alors que Joséphine pleurait silencieusement, il se l’était répété pour ne pas lui aussi s’effondrer. « C’est le premier pas qui compte, le premier pas qui compte ».

Au fond d’une tranchée, trempé, quasiment recouvert de boue, il attendait le signal de son gradé. Il allait falloir charger les lignes adverses. Il pleuvait à plein seaux. Les gradés avaient décrétés que l’adversaire ne pourrait pas bien voir et donc qu’il serait plus difficile pour les soldats d’en face de riposter.

Il embrassa une dernière fois la photo de Joséphine qui ne le quittait jamais, serra contre son cœur la dernière lettre de sa femme.

Il tremblait de peur.

« C’est le premier pas qui compte, c’est le premier pas qui compte »

« Chargez » hurla une voix.

Le cri fut repris par des dizaines de gorges tandis que les soldats, sous la mitraille, s’élançaient hors de leur tranché pour prendre d’assaut les lignes ennemis.

« Le premier pas qui compte »

Il se redressa, hurla avec les autres et s’élança, comme les autres.

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