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traduction montre, regarder

La nuit était froide, sans lune. Quelques rares étoiles tentent d’être visibles à travers les nuages qui recouvrent le ciel. Il a plu il y a peu, l’air encore un peu humide sent presque bon, comme s’il sortait du bac d’une lavandière.

Percival marche d’un pas rapide, sans vraiment se soucier des directions qu'il prend. Sur un coup de tête, il change de rue, revient sur ses pas, se retournant parfois brusquement pour vérifier que personne ne le suit.

Il devrait être chez lui, avec sa femme et son jeune fils. Tranquillement installé dans son fauteuil à lire un livre en sirotant un digestif.

Et pourtant il marche. Espérant vainement que peut-être s’il marche suffisamment longtemps, il pourra faire comme si ses soucis n’existaient pas. Il pourra prétendre ne pas savoir ce qu’il sait, ne pas se souvenir de ce qu’il a vu, appris.

La lumière blanche, sans vie, des éclairages publics électriques l’accompagne. Il soupire, il se souvient d’avant, des lampes de gaz et de leur lumière qui lui semblait si vivantes. Il les regrette. La lumière électrique est trop blanche, trop morte.

Il faut qu’il trouve une solution. Son fils, le roi corbeau, et ces meurtres horribles, la signature d’une créature que le Groupe pensait détruite … Il a besoin de temps pour penser, pour réfléchir, pour trouver une solution.

Ses pas l’ont amené dans un quartier de la ville qu’il n’avait plus parcouru depuis de nombreuses années. Il reconnaît pourtant les boutiques qu’il fréquentait alors, la boulangerie, le maraîcher et le fleuriste avec la jeune apprentie qu’il avait à l’époque courtisée.

En se retournant pour partir, reprendre son errance nocturne, il aperçoit d’un coin de l’œil quelque chose d’étrange, comme en surimpression de la porte de la boulangerie. On dirait un cadran d’horloge ou une serrure, les aiguilles ressemblant à un trou de serrure positionné à six heures.

Mais non, face à la porte de la boulangerie, il ne voit que cela, une banale porte de boulangerie. Percival secoue la tête, tout cela finira par le rendre fou, comme la plupart de ceux qui ne sont pas morts lors d’une mission qui tourne mal.

Il reprend sa marche, cherchant des solutions, cherchant du temps.

Là, encore. L’horloge, la serrure.

Il se retourne, il est sûr qu’au coin de son champ de vision, la porte de l’immeuble qu’il vient de dépasser n’était plus une porte mais le cadran, encore.

Un Autre se manifesterait-il ? Aurait-il sans le vouloir formuler un appel qui aurait été entendu. Depuis les événements, les interactions avec les autres sont formellement interdites. Hormis les mises à mort, bien entendu.

Percival sait qu’il ne devrait faire comme s’il n’avait rien vu, rentrer au plus vite chez lui et oublier ce qu’il a cru voir.

Mais il pourrait avoir des réponses. Il a besoin de réponses. Il reprend sa marche, vidant son esprit. Il se souvient ses lectures. Pour entrer dans l’espace d’un Autre, une fois le passage trouvé, il faut … faire un pas de côté par rapport à la réalité et … plonger.

Là, à la limite de son champ de vision, le cadran-montre-porte. Percival continue à marcher, sans se retourner, laissant l’image tremblotante gagner en épaisseur, en réalité au bord de son esprit, acceptant son existence, s’imaginant en même temps qu’il marche dans les rues, s’approcher des aiguilles et y pénétrer. Il ne voit plus le trottoir devant lui il se voit marcher en direction de la porte-cadran.

Un pas de côté.

Il a traversé l’horloge.

Il est ..

Il ne sait pas où il est. Le sol est égal aux murs et au plafond. Partout des cadrans, de montre, d’horloge, solaire, ornés, enluminés ou simplement gravés. Il marche sans avancer, les aiguilles tournent au sol, sur les murs.

Les entrelacs de cadran et d’aiguilles finissent par dessiner un visage sur ce que Percival a décidé de nommer mur, dans la direction qu’il a décidé de nommer devant.

« Que me veux-tu Humain ? »

« Je veux des réponses» répond Percival de la manière la plus confiante possible, espérant convaincre l’Autre que l’invocation était voulue.

Le visage d’aiguilles et de cadran semble se froncer, les aiguilles se faisant menaçantes.

« Pose donc ta question, tant que tu en as encore le temps»

Poser une question. Mais laquelle ? … Une mauvaise question est l’Autre pourrait détruire son âme aussi simplement que Percival écrase une fourmi.

Il faut poser une question en rapport avec le temps, dont la réponse soit une date.

« Je veux savoir quand nous pourrons arrêter définitivement le change-forme ? »

Le visage montre semble rire.

« Voilà une question dont la réponse est trop puissante pour être donné à un seul homme, même à un praticien. En voici la moitié , un mardi à 8h34. Le reste de la réponse, elle sera pour ton fils, s’il vient un jour me la demander »

« Non, vous deve.. »

La nuit de nouveau, désorienté Percival trébuche, tombe, se rattrape à un candélabre en fonte. L’Autre n’est plus là. Un mardi à 8h34, les mots sont gravés dans son esprit.

Déjà Percival doute. Est-ce arrivé ? Était-ce un rêve éveillé ?

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