Tigres des champs

L'accident eu lieu la nuit, un premier avril. Comme un pied de nez du destin. Il n'aurait d'ailleurs pas dû être dans ce TER. Mais les retards s'additionnant aux problèmes, il avait raté celui qu'il aurait dû prendre. Céleste aura 6 ans dans trois mois. Le matin du 2 avril, elle ne comprit pas vraiment pourquoi son papa n'était pas là, à son réveil pour lui raconter son voyage, comme il lui avait promis trois jours plus tôt. Elle ne comprit pas non plus trop pourquoi sa maman pleurait, pourquoi son papa ne reviendrait plus.

Céleste voulait son papa. Elle ne comprenait pas pourquoi elle devait s'habiller en noir pour suivre une boite en bois qui lui faisait peur et pourquoi elle devait lui dire au revoir.

Céleste eut 7 ans, puis 8 ans. Chaque soir, comme sa maman lui avait conseillé de faire, elle souhaite une bonne nuit à son papa, là où il est.

Céleste a 9 ans. Elle court dans la rue, joue avec ses amis à un équivalent moderne des gendarmes et des voleurs. Elle est un extra-terrestre poursuivit par des scientifiques. Ils courent, s'attrapent, rient. Au quatrième étage de l'immeuble devant lequel ils jouent, Un meuble se balance à une poulie, un lourd buffet, héritage familial. Les enfants courent, Céleste l'extraterrestre est devenue scientifique. Elle rattrape le garçon qui joue l'extraterrestre, l'attrape, crie « C'est moi l'extraterrestre » fait demi tour et part à toute vitesse, hurlant de rire. Le buffet se balance, la corde rompt. Le meuble tombe. Céleste glisse sur une peau de banane et s'étale, tête en avant. Le meuble explose. Céleste sera bonne pour deux heures chez le dentiste, elle s'est cassé deux dents de devant. Un éclat de bois lui entaille le visage, juste au dessus du sourcil. Elle en gardera une cicatrice qui lui permettra de plus tard frimer et de raconter comment une peau de banane lui a un jour sauvé la vie.

Céleste a 12 ans. Elle marche dans la rue, en plein centre ville avec sa mère. Elles se dépêchent, elles sont en retard pour un Rendez-vous à la banque. Un seul salaire n'est pas suffisant pour payer les traites du prêt immobilier. Sa mère espère pouvoir négocier un redécoupage des traites. Les lacets de Céleste se défont. « Attends maman, mes lacets sont défaits » La petite fille refait ses lacets avec application tandis que sa mère l'attend, impatiente. « Dépêche-toi Céleste, on va rater le tram et être en retard » « Voilà, voilà ! » La fillette bondit sur ses pieds et courre pour rattraper sa mère quand patatras. «Tout va bien Céleste ? » demande sa mère qui revient vers elle. Céleste ne comprends pas, les lacets de ses chaussures ont été nouées ensembles. Elle pleure un peu, plus d'incompréhension et de honte que de véritable douleur. Bien entendu le tramway est raté. Elles prendront le suivant. Quand elles arrivent devant la banque, avec quinze minutes de retard, elles ne peuvent s'en approcher. Un cordon de police a été installé. Un braquage vient d'avoir lieu. Il y a trois blessés.

Céleste a 16 ans. Elle a fait le mur, est partie faire la fête avec des amies. Elles sont dans un bar, rencontrent des garçons plus vieux. Quelques verres et Flirts plus tard, quelqu'un propose de changer d'endroit, d'aller danser. L'un des mecs a une voiture. A peine dix minutes en trajet, on ne risque rien. Céleste s'assoit à l'avant, à la place du mort. Elle rit, boit à la bouteille un alcool dont elle ne se souvient plus le nom. Mais alors que le chauffeur met le contact et tente de faire sortir la voiture de l'étroit espace où elle était garée, Céleste se met à avoir froid, peur, chaud. Une crise d'angoisse, d'anxiété. Elle se sent mal, elle doit sortir, elle n'arrive plus à respirer. Elle sort, reprend son souffle. Mais remonter en voiture lui est impossible. On se moque d'elle. On la met au défi de remonter, on la déclare coincée, fille à maman. Mais elle ne peut s'asseoir à nouveau. Ils partent, elle reste seule, rentre, espérant que son incartade ne soit pas découverte. Sa mère est réveillée, un cauchemar, un mauvais pressentiment, comme une angoisse. Cris, Colère et claquement de porte. Céleste est interdite de sortie. Les titres de journal TV du matin. Un accident grave qui aurait pu être meurtrier. Quatre jeunes alcoolisés ont grillés un feu rouge en plein centre ville. Une voiture les a percuté de plein fouet. Heureusement qu'il n'y avait personne d'assis en tant que passager à l'avant, sinon il y aurait eu un mort dira un des pompiers présents sur les lieux.

On est le trois juillet, Céleste vient d'avoir 17 ans. Il fait beau, c'est l'été, les vacances. Elles sont parties avec sa mère, un voyage juste toute les deux, en Norvège. Elles ont louées une voiture et roulent de chalet en chalet, passant quelques jours à chaque étape. Elles sont arrivées hier soir. Céleste ouvre sa fenêtre, découvre la vue, le lac d'eau calme à quelques dizaines de mètres du chalet. Elle se retourne, stoppe. Une lettre est posée sur la petite table de travail. Une lettre qui grille doucement, d'une belle lueur dorée. Une lettre qui sent la fraise et le sous-bois.

Elle l'ouvre, pensant à un cadeau de sa mère. Elle commence à lire, les larmes coulent sur ses yeux, tandis que chaque mot qu'elle vient de lire disparaît petit à petit.

…...........

Céleste, ma fille chérie,

Maintenant que tu viens d'avoir 17 ans, je peux prendre le risque de t'écrire. Prendre le risque de te raconter, peut m'importe les conséquences que cela aura.

Tu dois te demander comment je peux t'écrire alors que je suis mort il y a onze ans. Je dois te dire que je ne comprends pas moi même ce qui fait que tu peux aujourd'hui lire mes mots. Je ne comprends pas mais c'est ainsi. Et je voulais que tu le saches, je voulais te le raconter. Je t'avais promis de te raconter mon voyage et cette promesse je compte bien la tenir, aujourd'hui, maintenant.

Tu le sais déjà, j'ai donc dû prendre un train que je n'aurais pas du prendre. Ce fut un concours de circonstance malheureux qui abouti au fait que je ne puisse jamais rentrer à la maison. Cela tu le sais. Mais une fois que l'accident eu lieu, je me réveillais. Comme si je venais de dormir pendant une très longue et reposante nuit. Je me sentais en forme. Mais différent. J'étais couché, j'ai donc cru que j'étais à l’hôpital. Pourtant la lumière était différente, tellement dorée, mais à la fois doucement pastel. Je n'avais jamais vu de lumière gentiment rose et l'instant d'après tendrement bleue.

C'est alors qu'elle me dit bonjour. Elle c'est Annabelle. La fée dont on a toujours besoin. C'est elle qui m'expliqua ce qui se passait. Quand on meurs, parfois, on a la chance de pouvoir devenir un membre du petit peuple. On peut devenir un elfe, une fée, un lutin. On hérite alors d'une mission, qui est définit par notre nom et de pouvoirs qui nous permettent de la réaliser.

Annabelle est la fée dont on a toujours besoin. Lorsque quelqu'un a besoin d'aide, vraiment besoin d'aide, parfois, si il essaie vraiment de réussir malgré le fait que sans aide, c'est impossible, alors Annabelle l'aidera. Elle pouvait ressentir les actions désespérées, les moments où il n'y avait plus d'espoir et qu'elle pouvait s'y rendre. Et parfois, qu'elle pouvait changer les choses.

Son rôle consistait aussi, avec ses sœurs, à accueillir les nouveaux venus. Après tout qui pouvait plus avoir besoin d'aide qu'un nouveau mort qui se rend compte qu'il n'est pas mort. Et que les fées existent.

Tandis qu'elle parlait, le décor avaient changé tout autour de moi. J'étais maintenant ce qui me semblait être debout et dans un champ d'herbe. Le soleil semblait doux comme jamais il n'avait été doux. Même maintenant, 11 ans après, je ne comprends toujours pas vraiment comment fonctionne ce que je vais appeler le pays des fées faute de mieux. Il semble exister des lieux repères, que tout le monde connaît, qui sont tout le temps là. Et puis il existent une multitude de lieux qui changent de place, qui n'existent que parce qu'il y a quelqu'un qui y est présent et qui disparaissent lorsque plus personne n'y pense. Je ne le savais pas alors mais j'étais dans le prés des piques-niques. Un prés toujours ensoleillé, toujours fleuri, au centre duquel se trouvait un lac dont l'eau était toujours suffisamment chaude pour qu'on puisse y piquer une tête.

Annabelle continuait à me parler, à m'expliquer les choses et bizarrement, j'acceptais presque sans doute ni interrogation tout cela. Cela me semblait simplement vrai. Tandis que je le l'écoutais, essayant de digérer les implications de ce qu'elle me racontait, quatre ou cinq enfants apparurent, dans la peau de tigre des chants. Bien entendu à ce moment là, je ne savais pas encore ce qu'était qu'un tigre des chants. Je ne sais pas trop comment te le décrire. Imagine la silhouette d'un tigre, mais composé de notes de musique. On parle souvent d'avoir un chat dans la gorge, d'ailleurs si j'avais le temps, je te raconterais ma rencontre avec un chat de gorge, mais ce qu'on ne sait pas c'est qu'il y a aussi des tigres dans les chants. Ils rugissent entre les notes, ce sont eux qui te donnent la chair de poule que tu ressens parfois quand tu écoutes une musique qui te touche. Les enfants lutins adorent les utiliser pour voyager de chansons en chansons. Ils aiment aussi en prendre l'apparence et apparaître dans un concert de note tonitruantes. [il faut que tu saches que les enfants lutin peuvent tant qu'ils sont enfant, prendre de nombreuses apparences, à volonté] C'est ce qui arriva ici, et si je n'avais pas déjà été mort, je pense que j'en aurais eu une crise cardiaque.

Pendant des heures, puis des jours, Annabelle m'instruisit. Elle me raconta le conseil des anciens et la cérémonie de don du nom. Elle m'expliqua que le petit peuple était là pour surveiller, aider, presque materner non seulement les humains mais la vie dans son ensemble. Elle m'apprit que les noms vrais devaient être tenus secrets, comme d'ailleurs les attributions réelles de chacun des membres du petit peuple. Seules elle et ses sœurs pouvaient donner leur nom vrai et décrire ce qu'elle faisait dans la réalité des humains, puisque c'était nécessaire pour que les futurs membres du petit peuple comprennent comment les choses fonctionnaient. Mais les autres, il n'en avait pas le droit.

Tu imagines, petite fille, combien tout cela fut un choc pour moi. Mais par dessous tout ce que je ressentais, je pensais à toi. J'ai toujours, à chaque instant pensé à toi ma petite étoile.

Enfin Annabelle m'expliqua qu'il existait une autre sorte de petit peuple. Les kobold, les gobelins, les boggart et les tokoloshe . Eux aussi pouvaient influer sur la réalité, mais il le faisait dans l'autre sens. Ils créaient des ennuis, des problèmes, des complications. Quand je lui demandais d'où ils venaient, elle me dit qu'elle ne savait pas. Que personne ne savait. Et qu'en parler plus était mal vu. Depuis ce jour je me demande qui sont ces « mauvais » génies. J'ai beaucoup cherché mais je n'ai toujours pas de réponses. Mais cela sera l'objet d'une autre lettre, peut-être, si je le peux.

Et puis Annabelle décida que j'en savais assez. Et que c'était pour moi le moment de choisir. Voulais-je devenir un membre du petit peuple ou voulais-je vraiment mourir pour voir ce qu'il y avait après. Je n'ai pas eu alors une seconde de doute. Je voulais pouvoir te voir, même si tu ne le savais pas. Je décidais donc d'accepter. Si je devais tout de raconter alors en détail, ma lettre n'en terminerait pas. Je vais donc sauter à la conclusion, je fus convoqué par le grand conseil et je déclarais alors ma volonté de devenir un membre du petite peuple. Il faut que tu saches que jusqu'à ce moment là, même si je pensais avoir un corps, je n'en avais pas vraiment. J'avais l'impression d'en avoir, mais je n'étais en vrai qu'un esprit, comme un fantôme si tu veux. Au moment où je déclarais ma volonté de devenir un membre du petit peuple et ou je jurais de respecter les règles du conseil, je sentis que quelque chose changeait et je devins ce que je suis depuis, un pixie. Ensuite le conseil me donna mon nom vrai et définit ma tâche. Je devais protéger les enfants. Enfin, on m'assigna un vieux nain bougon comme chaperon afin de m'aider dans mes premiers pas.

Je reste persuadé que la tâche que donne le conseil des sages est défini par ce qui se trouve dans le cœur de ceux qui se présentent devant lui. Je n'étais que pensées et inquiétudes pour toi. Et j'hérite de la tâche de protéger les enfants. Depuis ce jour, je me suis toujours débrouillé pour être là pour toi. La peau de banane, les lacets qui s’emmêlent, la crise d'angoisse au moment de monter dans la voiture, à chaque fois c'était moi.

Tu dois te demander pourquoi j'attends maintenant, si longtemps pour te faire comprendre que d'une certains manière j'existe encore ? C'est du aux règles de mon nouveau peuple. Tu dois te demander quelles sont ces fameuses règles. Il y en a trois principalement. Ne jamais donner son nom vrai ni le descriptif de la tâche qui nous est assigné. Ne jamais raconter ce que l'on peut voir ou entendre dans la salle du conseil des anciens. Et enfin ne jamais, au grand jamais se révéler à un humain. Ne pas respecter ces régles peut entraîner le bannissement. En t'écrivant aujourd'hui, je brise le plus grand des interdits. Et je ne sais pas quelles conséquence cela pourra avoir pour moi. Si je le fais maintenant c'est que pour le petit peuple, hier, tu es devenue une adulte. Je ne peux donc plus te protéger et utiliser mes pouvoirs pour t'aider. Si je suis découvert maintenant et que je suis banni, cela ne sera pas grave, si j'avais tenté de te parler plus tôt et que j'avais été banni, qui sait si tu ne serais pas montée dans cette voiture... Je ne me le serais alors jamais pardonné. Mais tu comprends bien que tu ne dois en parler à personne, même pas à ta mère. Et c'est aussi la raison pour laquelle les mots s'efface dès que tu les lis.

Je vais terminer cette lettre. Je sais que dois avoir plus de questions que je ne peux l'imaginer. Je sais que tu ne dois pas y croire. Peut être même que tu m'en veux.

Quoi que tu penses, quoi que tu rêves, n'oublie pas, ton père est toujours resté prés de toi, et a toujours pensé à toi.

Et surtout, maintenant que tu sais que nous existons. Ne crois plus au coïncidences. Ce sont nous qui les provoquons. Alors suis tes intuitions. Écoute tes angoisses et tes pressentiments. Peut-être que c'est l'un d'entre nous qui tentent de t'aider.

Si je le peux, je continuerais à t'écrire. Je ne suis pas encore rentré à la maison, alors je continuerais à te raconter mon voyage, comme je te l'ai promis il y a si longtemps, quand je suis parti ce qui devait être pour juste quelques nuits.

Ton papa, qui t'aime

…...........

Les derniers mots s'effacent lentement. Les feuilles elles même disparaissent peu à peu, se transformant en jolis flocons dorées.

Céleste pleure toujours, mais sous les larmes se révele peu à peu un sourire. Elle se lève, ouvre la fenêtre, inspire longuement et murmure :

« Merci papa, je t'aime »

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