Raven

traduction : corbeau

Un pas, puis un autre. L’air est sec mais glacé. La neige molle et humide colle aux bottes, ralentie chaque mouvement.

L’homme avance péniblement, en boitillant, tirant une mule récalcitrante derrière lui. « Allez vieille carne, avance donc, c’est toi qui portes la tente » « Mais avances donc voyons »

Il neige à nouveau. Le silence et le froid recouvre tout. Parfois un craquement. Une branche qui cède sous le poids des flocons. Et quelques secondes après le choc sourd de la neige, comme un corps qui s’écrase.

« Allez vieille carne, encore quelques heures et on monte le campement. » « Oui, je sais cette opération est un fiasco, le costumard n’était pas là» « Oui, je sais, on n’a pas retrouvé le cristal non plus »

L’homme boitille de plus en plus, derrière lui, de petites gouttes rouge brillent sur la neige. Il avance, de plus en plus lentement, une main tirant la longe de la mule l’autre, se tenant le ventre.

« D’accord, le change-forme n’était pas là, l’information était pourrie» « Mais au moins on aura nettoyé un nid de goules, et un de belle taille en plus, l ‘information n’était pas tout à fait inutile »

Une nouvelle aube qui se lève. Combien en verra-t-il encore ? Il faut continuer, marcher encore, pas après pas. Mais sans aide il n’y arrivera pas. Il faut trouver de l’aide. Mais qui … comment .. qui répondra à un appel

« Tu as raison vieille carne, contre un nid de goules, on n’envoie pas une mission d’infiltration. Mais un bataillon de nettoyeur. » « Mais écoute, on a fait le travail non ? Et bien fait en plus » « Comment je vais ? » « Sans aide, je crois que je vais mourir »

Qui invoquer, qui répondra, qui lui proposera un marché qu’il pourrait accepter.

Un pas, puis un autre.

Il sait qui appeler. Le haïku d’invocation est là, dans son esprit, gorgé de pouvoir depuis plusieurs heures maintenant. Mais il faut le matérialiser.

« On va y arriver, la mule » « Mais oui, je suis sûr que derrière cette crête là-bas, on verra un village, pas loin »

Mais non, rien, rien d'autre que la neige à perte de vue.

La détonation séche d'un coup de feu retentit dans le silence.

L’homme récite les mots, la magie remplie son esprit, la magie forme son appel, il sent le pouvoir, il sent l’appel.

Corbeaux affamés Sanglante harde croissante Carne sur la neige

Il le répète, encore et encore. Il grelote, recouvert de sang, la carcasse de la mule grossièrement dépecée sur la neige.

Passent les heures.

L’homme a perdu espoir, il pleure sa mule, attends la mort, joue avec l’idée de se la donner.

Le bruit le réveille. Des vagues de croassement jaillissent de la plus grosse nuée qu’il n’est jamais vu. Et pourtant elle grossit encore, des corbeaux arrivant de toutes les directions, croassant, battant des ailes, s’intégrant à la nuée qui tourne au-dessus de lui.

L’appel a fonctionné, bien plus qu’il ne l’espérait. Quel esprit a-t-il invoqué ?

Quelques corbeaux se détachent de la nuée et fondent vers la carcasse de la mule. Puis d’autre et encore d’autre. Le festin commence. Les bruits de becs se mélangent aux croassements et aux battements d’aile. La nuée dévore.

Un corbeau, bien plus gros que les autres se pose devant l’homme.

Lentement le corbeau grandit, se transforme, le bec se fait bouche, les ailes se font manteau de plumes recouvrant un corps blanc comme la neige. Des cheveux de jais et un regard froid comme l’acier. En voyant la couronne d’argent ceint son front, le visage de l’homme perd les dernières couleurs qui lui restait.

« Bien le bonsoir Messire Spinor » «Votre Majesté, je .. je ne voulais pas.., je ne voulais invoquer qu’un simple esprit .. veuillez me pardonner » bégaie l’homme visiblement terrorisé. « Ne vous inquiétez pas Maître Spinor, nous ne suis nullement offensés . Nous avonss entendu votre petite ritournelle, elle était astucieusement écrite et pleine d’un pouvoir désespéré. Et puis il y a bien trop longtemps que nous n’avons pas conclu de marché. Que voulez-vous ? »

L’homme rit ou plutôt essaie. Mais son rire se transforme rapidement en une faible quinte de toux qui souille la neige de sang.

«Simplement que vous me sauviez, que vous me rameniez chez moi, Majesté » « Bien, cela sera fait, si vous acceptez notre marché » « Que veut la nuée des esprits corbeaux ? » « Nous voulons …. »

Le roi corbeau semble réfléchir… puis il sourit

« Nous voulons que ton premier fils devienne notre augure. Et tu devras l’appeler Augustus. Acceptes-tu Maître Spinor? »

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